« La vie mode d’emploi »
de Georges Perec obtint lors de
sa sortie en 1978 le Prix
Médicis.
A la manière
d’un puzzle, ce roman
retrace la vie d’un immeuble
parisien et de ses
habitants, sur près d’un
siècle. Un véritable voyage
autour du monde de destins
croisés dans le microcosme
de cet immeuble. Mais la
grande originalité du livre
est d’être construit selon
un procédé utilisant le
fameux problème du cavalier
pour passer dans les
différents appartements de
l’immeuble. Ce problème
consiste à faire parcourir,
une seule et une seule fois,
toutes les cases d’un
échiquier par un cavalier.
(Livre de Poche, n° 5 341)
« Amphitryon »
d’Ignacio Padilla
(Ed.
Gallimard,
2001).
Pendant la Première
Guerre mondiale, dans un
convoi militaire roulant
vers le front oriental, deux
hommes se défient aux
échecs. L’enjeu est de
taille : un échange
d’identité qui vouera le
gagnant à un obscur destin
d’aiguilleur du rail tandis
que l’autre, figure d’une
rare puissance dramatique,
ira par personne interposée
glaner sa Croix de Fer au
champ d’honneur. Ces
destinées parallèles vont
évoluer sur le vaste damier
de l’Europe centrale
cinquante ans durant. Le
fils du premier (mais est-ce
bien son fils ?) approchera
celui qu’il croit être
l’ancien adversaire de son
père ; il entamera avec lui
un duel décisif qui, en
pleine Seconde Guerre
mondiale, le confrontera à
la fois à la fine fleur de
dignitaires nazis et à la
tragédie juive. Jouet d’un
plan machiavélique qui ne
vise à rien moins qu’à le
déposséder de son âme – le
fameux projet Amphitryon,
tout en supplantations,
doublures et copies
conformes -, est-ce lui,
enfin, qui sous l’identité
d’Eichmann sera jugé à
Jérusalem en 1961 ? Quel est
le sens de son silence
devant les juges : sacrifice
consenti ou désir de
vengeance, et qui doit payer
pour qui ? Dans un style
d’une rare densité, Ignacio Padilla, auteur mexicain,
nous offre une intrigue
passionnante et une
réflexion approfondie sur
les avatars de l’histoire et
de l’identité.
« Le
maître et le scorpion »
de Patrick Séry
(Flammarion,
1991).
Drame psychologique, dans
lequel un vieux joueur
d'échecs, engagé dans le
championnat du monde par
correspondance, est hanté
par les souvenirs d'un passé
terrifiant, remontant à la
seconde guerre mondiale et
aux camps de concentration
Nazis. Le jeu d'échecs l’y a
sauvé de ses tortionnaires,
au moins provisoirement,
mais en a fait simultanément
l’allié des ambitions
totalitaires nazies. Le
dilemme qui se pose à lui
est alors à l’image du
scorpion, seul animal
capable de retourner contre
lui son arme de mort. Ce
roman s’inscrit la lignée
d'autres oeuvres qui posent
la question du rapport entre
échecs et totalitarisme :
voir Orwell dont le « 1984 »
est jalonné de références
aux échecs, et surtout « Le
joueur d'échecs » de Stefan
Zweig.
« La
joueuse d'échecs
»
de
Bertina Henrichs (Liana
Levi, 2005)
Eleni mène une vie paisible
d'épouse et de femme de
chambre dans un hôtel
touristique de l'île de
Naxos, où le temps semble
s'être figé depuis
l'antiquité grecque. Les
hommes jouent au tric-trac,
les femmes s'occupent des
enfants et du foyer
familial. Mais un jour, un
couple de touristes français
laisse traîner dans leur
chambre un jeu d'échecs, et
cela va bouleverser le bel
ordonnancement de la vie d'Eleni,
qui va devoir braver sa
famille, ses amies, la
réprobation sociale, pour
s'adonner à sa passion
naissante. Un beau roman
plein de sentiments qui
analyse finement les
rapports sociaux dans une
société emplie de préjugés
sexistes et conservateurs.
On ne résiste pas enfin au
plaisir de mentionner dans
cette page, à l’attention de
nos amis joueurs de go – qui
font partie de la même
famille des passionnés de
jeux de réflexion -, le
remarquable roman de la
chinoise Shan Sa « La
joueuse de Go » (Ed.
Grasset, 2001), qui retrace
le destin dramatique d’une
jeune lycéenne de 16 ans,
dans la Chine des années 30,
sous l’occupation japonaise,
avec sa cohorte de tueries,
de pillages, de tortures.
Douée pour le jeu de go, et
rêvant d’un monde meilleur,
elle se retrouve à affronter
un officier japonais, dur
comme le métal, à peine plus
âgé qu’elle, à l’utopie
impérialiste. Le combat
s’engage, entre amour et
haine, entre rêve
d’indépendance et soumission
au bourreau.
Le jeu d'échecs apparaît
dans ce grand roman
politique, où Romain Gary
dénonce l'illusion perdue de
la puissance européenne
("s'il existait chez nous,
aussi bien en tant que
nations qu'en tant
qu'hommes, les conditions
psychiques, morales et
spirituelles pour "faire
l'Europe", eh bien ! nous
n'aurions plus besoin de
faire l'Europe... car cela
s'appellerait fraternité.").
Le jeu y apparaît comme une
métaphore de l'impuissance
des idées manipulatrices
face à la réalité. Laissons
parler à ce sujet Romain
Gary lui-même, dans son
interview par François Bondy
publié sous le titre "La
nuit sera calme", en 1974 :
F.B.: Pourtant tu aimais
beaucoup gagner au échecs
autrefois...
R.G.: Oui, au temps du bon
vieux maître docteur
Tartakower, à Nice. Il y a
quarante ans que je n'ai
plus ouvert un échiquier.
J'ai abandonné, quand j'ai
vu que ça devenait
obsessionnel. Tu ne peux pas
aller loin, aux échecs, si
ça ne devient pas
obsessionnel... Je me suis
trouvé un jour, à vingt ans,
couché dans la nuit à
refaire une partie entre les
grands maîtres Alekhine et
Capablanca... Alors j'ai
dit, basta.
F.B.: Mais le jeu
d'échecs réapparaît dans
Europa.
R.G.: Seulement pour montrer
à quel point l'ambassadeur
Dantès, l' "homme d'une
immense culture", est
étouffé par les
abstractions. Mais à quoi
bon ? Les livres ne font
jamais le poids... Guerre
et paix - en prenant le
sommet - a fait tout pour la
littérature mais rien contre
la guerre...
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